samedi 22 juillet 2017

Chester Bennington

Avant sa mort je ne connaissais pas son nom. J'ai dû vérifier lequel des deux chanteurs de Linkin Park s'était suicidé. Je n'avais jamais écouté un de leurs albums en entier. Au début des années 2000 j'adorais le neo-metal mais pas eux, parce que je les jugeais trop commerciaux. Pourtant, le plaisir coupable à chaque fois qu'un de leurs tubes passait dans l'auto-radio, plaisir conservé année après année. Sur twitter, j'ai lu des souvenirs d'adolescentes de l'époque qui se cachaient pour les écouter parce que leur entourage se moquait d'elle. Depuis deux jours, on a l'impression que ce groupe faisait partie de la vie cachée d'une grande partie d'entre nous, et que malgré les millions de disques vendus ils sont toujours restés tricards, pas assez ceci ou trop cela. Jusqu'au Hellfest dernièrement où ils se sont fait traités de "vendus" et ont été sommés de changer leur setlist...



Ses paroles dépressives étaient vraies finalement, confirmant l'adage sur les chansons que dit Fanny Ardant dans La Femme d'à-côté et dans For this is my body: les chansons disent la vérité, et plus elles sont bêtes plus elles sont vraies. C'est donc ça qui nous accroche à "Numb" ou "In the end": le désespoir adolescent, il ne faisait pas que le singer, il le vivait et on l'entendait...

Il n'est pas mort pour que des quarantenaires massacrent ses chansons la larme à l'oeil en pensant à leur jeunesse enfuie, mais il a vécu pour écrire une partie de la bande son d'une époque absurde et d'une génération perdue entre des restes d'idéologies qu'on a toutes vues se planter et l'égoïsme sans avenir érigé en mode de vie.

Je le connaissais très peu, je n'aimais pas beaucoup sa musique, mais au sein du peuple des célébrités qui nous accompagne depuis l'enfance et qui se transforme peu à peu en cimetière, sa mort me rend très triste.

dimanche 15 janvier 2017

Sabrina et la liberté

J'ai repris "Summertime Love" de Sabrina, plus connue sous le titre "Boys boys boys". Ma reprise: https://soundcloud.com/amyviolet_sings/les-garcons-sabrinas-summertime-love-coveradaptation.
Je me suis rendue compte un jour que je fredonnais la mélodie de la phrase "Everybody, summertime love, you'll remember me" sans me rappeler des mots ni de quelle chanson elle était tirée. C'est juste une très jolie mélodie.

Quand je me suis rappelé de quelle chanson cette phrase était issue, j'ai vu la reprise comme un défi, parce que c'est une chanson très légère, voire insignifiante, avec une légère réputation sulfureuse du fait d'avoir été le premier clip censuré par MTV, comme le rappelle Wikipedia.
D'autre part j'ai toujours l'envie de traduire les chansons anglaises vers le français. M qui s'y est essayé notamment pour "Close to me" des Cure disait dans une interview que cette démarche était proche de celle des yé-yé, et c'est quelque chose qui m'attire parce qu'il y a le défi de relever la difficulté de la traduction, la transmission de ce que représente la chanson en anglais pour soi-même, et la mise en accessibilité d'un texte incompréhensible pour certains.
Je trouve que c'est une façon d'exprimer des choses personnelles en ayant pour contrainte d'être fidèle aux mots des autres. Je m'y suis essayée sur "Wicked Game" de Chris Isaak déjà.
Concernant "Summertime Love", le clip sexy pour l'époque a énormément marqué les esprits, ce qui fait que plusieurs autres personnes ont déjà tenté la reprise décalée. J'ai trouvé ce monsieur très touchant avec ses chaussettes dépareillées ou cette jeune fille mélancolique et bien plus virtuose que moi.
À peine avais-je posté ma reprise sur Framasphere que je vois dans ma timeline un homme partager le clip (sans rapport avec ma reprise) avec un commentaire ironique "tout petit déjà ça me fascinait!" et bien sûr il parle des seins de Sabrina.
Ça m'a fait réfléchir parce que moi aussi, j'avais 7 ans et le clip me fascinait. Mais ce n'était pas pour la même raison bien sûr...
En y pensant je crois bien que ce qui m'attirait était le fait que Sabrina passait son temps à rajuster son maillot de bain sans en être gênée. Quand on est une petite fille à partir d'un certain âge on se met à être hyper attentive à son habillement, rien ne doit dépasser, rien ne doit laisser prise ni aux moqueries ni à l'intérêt trop appuyé des garçons. Le choix du maillot de bain, l'épreuve de la première sortie du vestiaire en situation, tous les endroits échancrés auxquels il faut faire attention ; sans être non plus trop couvrant pour ne pas être traitée de mémère ; et puis quand même recueillir l'approbation de sa mère, "c'est joli comme ça", arriver à se plaire à soi-même un minimum dans le miroir...Une équation quasi impossible.
Or dans ce clip on voit une fille qui n'en a rien à foutre de tout ça. Elle a mis un maillot trop petit, on voit des bouts de corps qu'on "ne devrait pas" voir et ça ne l'empêche pas de s'amuser, au lieu de sortir précipitamment de l'eau, s'enrouler dans sa serviette et ne jamais remettre le maillot infamant.
D'ailleurs j'avais oublié et je m'en suis souvenue en revoyant le clip, il y a cette scène où les garçons la matent dans la cabine de plage (la terreur des filles au collège étant d'être matée aux toilettes, comme les portes ne sont pas pleines -en tout cas à mon époque et dans mon collège) et où elle n'en a strictement rien à foutre. Une telle attitude est franchement désirable quand on sait très bien qu'on en serait mortifiée pendant plusieurs mois si cela nous arrivait.
Un positionnement féministe probablement non voulu par les auteurs du clip, mais fascinant pour les petites filles de l'époque, je suppose. Comme pouvaient l'être les provocations de Madonna ou le personnage Vivian dans Pretty Woman: les filles qui font des choses qu'elles ne devraient pas faire, et qui ne sont pas punies pour ça.

lundi 20 juin 2016

Ce qu'on apprend en reprenant "Anthems for doomed youth"

Depuis que je reprends des chansons toute seule à la guitare dans mon garage (en gros depuis que j'ai deux enfants et plus l'énergie de trouver un groupe et assurer les répètes) j'ai envie d'un défi idiot: reprendre tout un album.
J'ai une une grosse tentation avec Nobody's daughter de Hole et je ne jure pas que je ne m'y mettrai jamais. Mais ça y est, c'est fait, ma voix et ma guitare approximatives sur toutes les chansons d'un album qui est donc Anthems for doomed youth des Libertines.
Pourquoi cet album? D'abord parce que je suis restée un moment ébahie de la reformation du groupe qui a toujours été mythique pour moi, n'ayant commencé à écouter  qu'après la sortie du deuxième album -autrement dit quand il était déjà fini. Je me rappellerai longtemps je pense de la première fois où j'ai vu le clip de "Gunga Din" et de ma joie de voir Peter Doherty et Carl Barat faire les cons ensemble malgré la rupture et toute la rancoeur accumulée entre eux.
Après je suppose que c'est un peu de la faute de Gary Powell, que j'avais mentionné en postant ma reprise de "The ha ha wall" sur twitter et qui m'a gentiment dit "it's a great cover!" Le pauvre il ne se doutait pas que j'allais rentrer en hyperventilation pour 24 heures et finir avec l'idée de mériter encore un compliment. J'ai bien conscience que c'est pathétique, mais après tout si ça me permet de m'amuser ça ne fait de mal à personne. Et sur le chemin de ce défi personnel j'ai appris les 2-3 trucs que voilà.

1/ Ça prend du temps de bien connaître un album.

Ce n'est pas un scoop mais pour reprendre des chansons il faut les écouter beaucoup. Mieux on les connaît plus c'est facile au moins pour le rythme de la voix. Et donc j'ai écouté Anthems for doomed youth, beaucoup, au poins que je me demande si ce n'est pas l'album que j'ai écouté le plus dans ma vie. Au fil des écoutes ma perception s'est transformée assez fondamentalement, au point que je ne comprends plus du tout comment on peut faire une critique pertinente de disque après l'avoir écouté une fois seulement (cela dit c'est pareil pour les livres, probablement pour les films etc.). Des chansons qui me paraissaient faibles (ou inexistantes) se sont révélées, il y a des paroles que je n'ai entendues qu'après des dizaines d'écoutes et au moment des devoir les chanter moi-même. "Iceman" par exemple, je ne la comprenais pas du tout avant de percevoir son côté Beatlesien, d'écouter vraiment les paroles (d'ailleurs si comme épitaphe je pouvais avoir une traduction correcte de "This life, this love, this river have to end / Just for now we have all the time" ce serait parfait). Les paroles les plus amères de l'album sont marmonnées par Carl Barat (spécialiste du procédé) au point qu'il a fallu que je les lise avant de les entendre: "Yes we thought that they were brothers / But they half-murdered each other / Then they did a karaoke turn and murdered our best song". Et à l'image de cette phrase et malgré l'énergie et les fous-rires sur les bonus tracks, l'ambiance n'est pas vraiment à la rigolade au final...

2/Anthems for doomed youth est un disque entre la dépression et la méthode Coué

"Woke up again / To my chagrin / And I'm sick and tired of feeling sick and tired again"
"Don't know if I can go on / Making no sense in songs / Don't know if this is forever".
Oui c'est un disque sur l'épuisement et la perte d'inspiration, la perte du sens. "Gunga Din" est une grande chanson dépressive. Et si vous voulez voir un clip d'une noirceur radicale il faut voir celui de "Heart of the matter", d'une violence complaisante et malaisante, qui n'épargne pas son public.

Et dans le même temps:

"Hold on to your dreams however bleak it seems / The world it may not listen but the devil may care"
"Oh I don't know what he did man / But I stand by my brother / We're gonna make it big man / One way or the other".
Tout est dit du départ avec le paradoxal "The world is fucked up / It won't get me down".
C'est difficile de ne pas y voir une métaphore du groupe lui-même, sabordé il y a 11 ans, qui tente avec l'album de recréer malgré les rêves brisés.

3/ Les anciennes chansons déchirent

Je ne dois pas être une fan si hardcore, car je n'avais jamais écouté les 4 chansons en bonus tracks. Ce sont des "vieilles" chansons datant de la 1e période des Libertines, jamais enregistrées mais traînant sur le net et ailleurs depuis un moment.
C'est simple, elles sont géniales, ironiques, énergiques, poétiques, elles ont tout. C'est en les écoutant qu'on se rappelle (si jamais vous aviez oublié, parce que moi non) du talent des Libertines de l'époque, qui pouvaient se permettre de mettre un tel matériel de côté parce qu'ils avaient trop de bonnes chansons.
Love on the dole ancienne version (chanson à boire)
Bucket shop (vieux live avec un autre batteur)
Lust of the Libertines ancienne version
Seven deadly sins ancienne version.

4/ Je suis capable de jouer des accords barrés

Eh oui, guitariste en carton depuis 1999, j'ai toujours soigneusement évité l'écueil des accords barrés, cherchant prudemment d'autres chansons à reprendre quand s'en présentait une qu'il était impossible de faire sonner à mon goût sans cette difficulté. Seulement là j'avais le défi d'aller au bout de l'album et je ne pouvais pas me défiler, il fallait que je passe ce sol#mineur et ce do#mineur sur "Anthem for doomed youth", et ce fa#mineur sur "Fury of Chonburi" (oui parce que si#mineur et si j'ai continué à tricher...).
C'est LOIN d'être parfait, à l'image de mon son, fièrement made in smartphone orienté n'importe comment et jamais retraité. À l'image de mes riffs toujours et paroles parfois non conformes aux originaux, parce que je ne comprends pas assez bien l'anglais et que si les paroles ne sont pas sur Internet je les invente.
Bref c'est toujours à l'arrache, il y a des pains partout, mais moi je sais que j'ai progressé et que je sais faire plus de choses à la guitare qu'avant.

5/ Je peux passer du grave à l'aigu dans la même chanson

Si Lana del Rey le fait sur "Born to die", pourquoi pas moi? Au lieu de placer le capo pour me permettre de rester dans la même octave tout le long de la chanson, il y en a plusieurs sur lesquelles je me balade et je ne trouve plus ça ridicule.
Comme sur "Anthem for doomed youth", qui ne doit pas être si pourrie puisque @lamateur37, qui d'habitude ne me dit RIEN sur mes reprises (parce qu'il ne les écoute pas) m'a dit "elle est bien celle-là". Comme sur la fin d'un "anymore" dans "Belly of the Beast" où je m'amuse bien entre les graves et les aigus.
J'ai quand même mis le capo sur "Lust of the Libertines", avec un son qui rappelle le ukulele. D'ailleurs les accords pour ukulele sont en ligne.

Pour finir, je dirai que je connais mes limites et que je n'ai pas spécialement envie de les dépasser. J'aime que mes chansons soient une parenthèse volée dans le reste de ma vie et je n'ai pas envie d'avoir de la pression sur ça aussi, comme sur le reste.
Le défi de reprendre les 16 chansons je me le suis fixé à moi-même par amour pour un groupe, je suis allée au bout et j'en suis très contente. Le résultat me plaît à moi parce que quand je le réécoute je vois les efforts, ce sur quoi j'ai buté, ce qu'il me reste à améliorer, et surtout tout ce que ça m'a apporté.

L'album, le vrai
Et mes versions.

dimanche 14 février 2016

3 problèmes avec Retour vers le futur

Le 30 octobre 2015 on a fêté en grande pompe les 30 ans du film Retour vers le futur qui a suffisamment marqué le public de l'époque pour donner lieu à 2 suites, lancer la carrière de Michael J. Fox et le doter d'un capital sympathie jamais démenti et faire partie d'une culture populaire commune pleine de références plus ou moins conscientes. Au milieu des célébrations, souvenirs, anecdotes, répliques, les réseaux sociaux ont bruissé un temps de colère contre la critique de Libération de l'époque qui ne voyait dans ce film qu'un navet. Or sans forcément emboîter le pas à cette critique qui reprochait entre autres au film de ne pas aller au bout d'un thème subversif seulement effleuré, celui de l'attirance incestueuse de la mère pour son fils, la re-vision du film un peu avant m'a fait sauter aux yeux au moins 3 gros problèmes:

1/ Les placements produits sont omniprésents. À la revoyure ils m'ont vraiment gênée, il y en a au moins un par scène et quasiment un par plan. Je pense qu'en 1985 le public était relativement "naïf" par rapport à cette pratique pour ne pas la voir ou ne pas en prendre ombrage, mais aujourd'hui on n'accepterait plus aussi facilement de se faire refiler de la pub déguisée pour Calvin Klein ou All Stars tout le long du métrage. Sans compter que l'intrigue est suffisamment légère pour finir par ne devenir qu'un prétexte au profit de ces multiples réclames ;

2/ Le film réalise l'un des white-washings dont rêvent les étasuniens blancs: c'est enfin un blanc qui invente le rock'n'roll! Finie la culpabilité due au fait qu'une musique issue des chants des esclaves, mise au point par des musicien.ne.s noir.e.s, ait été récupérée et fort lucrativement par les blancs. Le film remet les choses à l'endroit en donnant la paternité du rock à Michael J. Fox. Et en plus la scène est trop cool, donc ça passe crème.

3/ Le film repose sur l'idée qu'un souffre-douleur dans sa jeunesse sera un raté dans sa vie adulte. Michael J. Fox va dans le passé, et rend à son père sa dignité en l'aidant à casser la gueule à son tortionnaire du lycée. De retour dans le présent, c'est le tortionnaire qui est devenu le larbin du père.
Cette intrigue repose sur l'idée simpliste qu'il y a deux camps: les forts et les faibles. Le faible ne peut devenir fort qu'à la condition de retourner la violence contre le fort, qui deviendra alors faible.

Cette idée est hyper répandue comme en témoigne la dramatisation (médiatisation de faits divers dramatiques) autour du harcèlement scolaire. Attention, je ne dis pas que le harcèlement n'est pas une épreuve extrêmement violente pour celui.celle qui en est victime, et que les victimes n'en restent pas durablement marquées. Je dis en revanche que l'équation simpliste harcelé.e enfant=>adulte brisé est fausse et ne se vérifie pas. De nombreuses personnalités ont été victimes de harcèlement scolaire, ce qui ne les a nullement empêchés de devenir des stars ou des champions.

Les parents ont très souvent peur que leurs enfants soient les faibles de la cour de récré ; et beaucoup les incitent à "ne pas se laisser faire", ce qui n'est rien d'autre que de leur dire de répondre à la violence par la violence. Cela se comprend dans le contexte mais entérine l'idée que c'est le plus violent qui gagne. Le message de Retour vers le futur est bien qu'il faut écraser les autres pour ne pas se faire écraser, puisque le père ne se contente pas de se débarrasser de Biff mais l'humilie comme lui-même l'a été. Cette humiliation n'est rien d'autre qu'un ressort comique: la violence sociale est valorisée et justifiée par le comportement autrefois inacceptable de Biff.

Ayant pointé ces 3 problèmes je signale néanmoins d'une part que je n'ai même pas parlé du sexisme crasse du film ; et que tous ses défauts ne m'empêchent pas de l'apprécier, comme tout le monde: marque du savoir-faire cinématographique ou du lavage de cerveau hollywoodien sur le reste du monde? L'énigme demeure entière.

lundi 26 octobre 2015

Les hommes de la piscine le dimanche matin

Il y a les habitués qui saluent tout le monde et tapent la discute au maître-nageur. Il y a ceux qui viennent pour la première fois, un peu perdus, à chaque longueur,chaque mouvement de brasse ils semblent se demander ce qu'ils foutent là. Il y a ceux qui viennent avec leur femme et passent leur temps à papoter avec elle. Il y a les vieux en couple qui medisent sur tout le monde, comme dans leur salon ou sur la place du village. Il y  a les vieux qui s'entretiennent. Il y a les jeunes qui s'entretiennent. Il y a les degarnis et les barbes de trois jours,les deux peuvent se cumuler. Il y a les jolis petits culs et les grosses bedaines,les deux peuvent se cumuler.  Il y a les papas portant leur bébé,tout petit dans les gros bras,s'attirant instantanément la sympathie de toute la piscine. Il y a les papas d'enfants plus grands qui jouent,rigolards,ou coachent,sérieux. Il y a les sportifs équipés,concentrés. Il y a ceux qui ont l'air gentil. Il y a ceux qui ont l'air de connards à leur façon de nager,peu importe qu'on soit 50 par ligne d'eau ils ne devieront pas leur trajectoire,et s'ils éclaboussent en en mettant plein la gueule aux voisins tant pis. Il y a les prevoyants qui repèrent le nageur d'en face bien à l'avance et s'ecartent poliment l'air de rien. Il y a les indécis,est-ce moi ou l'autre qui vais dévier,ils finissent nez à nez avec un sourire gêné. Il y a ceux qui se prennent des megas coups de pied involontaires et qui font semblant de rien,même pas mal. Il y a ceux qui pour finir se frottent sans vergogne la bite au savon dans les douches collectives.

dimanche 1 mars 2015

Les filles peuvent-elles faire partie du Cercle des Poètes Disparus?

Il y a plusieurs mois, alors que je discutais féminisme sur Twitter, mon interlocuteur a twitté 2 choses qui m'ont interpellée (je reformule ses tweets, pardon à lui s'il se reconnaît et s'il juge que je déforme):
- l'oppression des femmes est le fait de quelques connards dont je ne fais pas partie, donc je n'ai pas à payer pour cette oppression
- jamais je n'ai participé de près ou de loin, à une "entreprise" (au sens large de "projet" etc.) pouvant être accusée de sexisme, ni n'ai promu un film pouvant être accusé de sexisme. Donc je n'ai pas à être accusé de sexisme.

Ces deux tweets m'ont plongée dans la perplexité et un peu dans le découragement, tant ils révèlent le fossé qui existe entre ma façon de voir le féminisme et la sienne, alors que par ailleurs nous sommes d'accord sur ce que l'on pourrait appeler l'essentiel: les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes.

La différence est la suivante: lui pense qu'il y a d'un côté les méchants sexistes et de l'autre les gentils antisexistes, et qu'il fait partie du second camp ; je pense pour ma part que c'est "la société" qui est sexiste, qui met à l'oeuvre des mécanismes sexistes qui conduisent à une restriction des droits et des libertés pour les femmes, et que comme nous faisons tous partie de la société, nous avons tous une part de responsabilité dans cet état de fait, à des degrés divers.
Le dernier article de Crêpe Georgette est, je trouve, très éclairant sur ce point, au sujet des affaires DSK. En effet, ces affaires ont à nous apprendre des choses sur les protagonistes directs mais également sur nous tous, qui formons cette société où ces affaires peuvent se produire, qui aurions pu voter pour cet homme, qui plaisantons, haussons les épaules ou avons fermé les yeux tant d'années. Si "ce qui cause les violences sexuelles est l'impunité sociale dont elles bénéficient", qui est responsable de cette impunité sinon nous tous?

Le deuxième argument parlait plus explicitement de cinéma. Mon interlocuteur se défendait en gros d'avoir jamais promu un film sexiste.
J'avoue avoir du mal à le croire étant donné qu'il faut tout simplement chercher longtemps, au moins dans la production hollywoodienne mainstream, avant de trouver un film qui puisse en être exempté.
La semaine où nous avons eu cette discussion, j'ai été frappée par 3 films qui sont justement passés à la télé et que j'ai regardé (et même apprécié!), alors que leur vision des femmes est pour le moins discutable.
Le premier, La nuit au musée 2, se paie quand même le luxe de transformer une figure historique de l'histoire des femmes, Amelia Earhart, en un personnage énamouré du héros qui ne pense qu'à le séduire pendant tout le film.
Le deuxième, Un jour sans fin, est une quête dont la récompense que le héros parvient à obtenir après avoir subi de multiples épreuves, est la femme qu'il convoite. Le personnage féminin est donc réduit au rôle de récompense du héros.

Je vais m'attarder plus longuement sur le troisième, parce que comme beaucoup de monde c'est un film qui m'a énormément marquée. Et comme beaucoup de monde, j'ai été extrêmement peinée par la mort tragique de son acteur principal, Robin Williams. Il s'agit du Cercle des Poètes Disparus.
Dans l'une des scènes de son cours, le Professeur Keating incite ses élèves à diversifier leur vocabulaire pour s'exprimer plus précisément. Et il y a cette scène célèbre où il leur "enseigne" sur un mode humoristique la véritable raison pour laquelle le langage a été inventé:




"Pour communiquer?" "Non, pour séduire (-la VO dit "to woo"=courtiser, amadouer) les femmes".
Ah. Le langage a été inventé pour séduire les femmes.
On suppose donc que le langage a été inventé par des hommes hétérosexuels. Et les femmes, elles ne parlent pas alors (sauf celles qui veulent séduire les femmes)? Et ceux qui se foutent de séduire les femmes, ils ne parlent pas non plus?
Allez, c'est juste une blague, faite à une classe de garçons en 1959. Oui, c'est une blague sexiste et hétéro-centrée, mais on va dire que c'est le contexte qui veut ça.

En revanche, l'"histoire d'amour" qui est présentée dans le film, est extrêmement sexiste, et encore aujourd'hui je suis très mal à l'aise par rapport à cette histoire dans l'histoire.
L'un des élèves, Knox, tombe amoureux "au premier regard" d'une jeune fille nommée Chris, qu'il ne connaît pas du tout. Il sait une seule chose d'elle, elle est la petite amie d'un garçon costaud, sportif et riche. Leur "histoire d'amour" consiste pour lui à la séduire, en deux temps:
1. Lors d'une soirée où ils sont tous les deux émechés, Chris s'endort sur ses genoux, il en profite pour déposer un long et doux baiser sur son front.
2. Il lui lit un poème qu'il a écrit pour elle dans son école, devant sa classe, alors qu'elle lui a clairement demandé de la laisser tranquille. Il passe outre sa demande.
Ces deux épisodes où il force Chris, d'abord à recevoir un baiser, puis à l'écouter, s'avère payants puisqu'elle accepte d'aller au théâtre avec lui vers la fin du film.
Le film envoie donc le message que pour séduire une femme il faut un peu la forcer, et que même si elle n'a pas envie d'être avec toi, insiste un peu (mais en lui lisant de la jolie poésie par exemple) et tu l'obtiendras à la fin.
 Cette narration est horriblement sexiste. Heureusement que c'est une intrigue secondaire qui, il me semble, ne "pollue" pas le reste du film. D'ailleurs je trouve qu'on se fout complètement de l'issue de cette histoire, par rapport à la passion de Neil pour le théâtre ou au mal-être de Todd. Pour parler de moi, à l'époque où j'ai vu le film pour la première fois (j'avais une dizaine d'années et était très encline à tomber amoureuse des personnages dans les films) je me suis totalement foutue de Knox. Non, moi, celui que j'aimais, c'était Charlie Dalton.



Or Charlie Dalton, c'est certes le mauvais garçon, celui qui flirte avec les limites du règlement de l'école, celui qui a de la répartie, qui fait des blagues de cul (gentillettes). Mais Charlie, c'est aussi celui qui, dans une scène d'anthologie, réclame la mixité de son école.




C'est lui qui invite deux filles au Cercle des Poètes Disparus. À mon sens, il traite les filles comme ses égales contrairement à ce que fait Knox, qui voit Chris comme une conquête.
Mais dans le film, c'est la relation de Knox et Chris qui est montrée comme romantique, alors que Charlie est vu comme "le tombeur".
Il y a là un vrai problème de sexisme ; et pourtant c'est dans un film en apparence irréprochable, un film qui a marqué énormément de gens et pas seulement des infâmes tortionnaires de femmes ; un film que j'aime beaucoup, malgré ce "petit" défaut...

Mais ai-je vraiment le choix? Peut-on vraiment, dans la société qui est la notre, choisir de n'apprécier que des objets culturels irréprochables d'un point de vue féministe? À mon sens c'est tout simplement impossible, car alors on n'aimerait plus rien. On peut trouver ça triste ou révoltant, ou juste estimer que c'est la vie, qu'elle est nécessairement imparfaite, mais que pour l'améliorer il faut commencer par reconnaître sa propre part de responsabilité.

jeudi 19 juin 2014

Fais ce que tu veux Jess Greenberg

C'est une histoire triste et longue que je vais raconter.

Lisant un jour la page musique d'un magazine féminin, je tombai sur la recommandation d'aller écouter une reprise du fameux "Get Lucky" par un certain George Barnett. Voilà la vidéo:


Il se trouve que j'ai bien aimé la vidéo et que je l'ai twitté avec un commentaire très intelligent, du genre "Matez-moi ce piège à filles!" Ben oui, le brun ténébreux dégingandé multi-instrumentiste fait de l'effet. Et sa petite chemise négligemment ouverte, là, vous croyez que c'est juste parce qu'il aime bien le genre que ça lui fait? Ah oui peut-être (sûrement).
Malgré ma fine réflexion, à aucun moment je ne me suis dit que cette petite pute de chanteur se déhanchait uniquement pour m'exciter et planquer le fait qu'il ne savait pas chanter correctement, en vrai. Je me suis dit "J'aime bien la reprise et tiens, il est pas mal". Voi-là.

Dans les suggestions Youtube, il y avait une reprise par une nénette nommée Jess Greenberg, sur laquelle j'ai cliqué. Voilà la vidéo:


Si vous n'avez jamais vu de vidéo de Jess Greenberg, il est possible que vous vous fassiez la même réflexion que moi à ce moment-là: "Tiens, elle a sorti les seins". Suivie (pour moi) de "Putain j'adore ce qu'elle fait!" Suivie du visionnage compulsif de toutes ses vidéos.
Suivie malheureusement de la lecture des commentaires.

Des dizaines de milliers de commentaires, peut-être des centaines de milliers sous l'ensemble de ses vidéos (plus de 10 000 sous celle de la reprise de Daft Punk). Qui, dans leur énorme majorité, parlent de ses seins: pour dire qu'elle a tort de les montrer, qu'elle a raison de les montrer, qu'elle est bonne, qu'ils ont envie de la baiser, qu'elle les montre pour faire du clic, qu'elle les montre pour faire parler (génies ceux-là), qu'elle les montre et qu'on doit bien reconnaître qu'ils sont jolis mais qu'elle joue bien de la guitare quand même. Ah et certain qui parlent de sa bouche: elle a de jolies lèvres mais pas des jolies dents (j'invente rien). D'autres pour lui demander de jouer à poil. Des centaines de milliers de gens qui ont laissé des commentaires pour dire ça.
Qui a un problème? La chanteuse ou la centaine de milliers d'abrutis qui laissent des commentaires d'abrutis?

Toujours revenait, au milieu des commentaires graveleux, l'idée d'imposture. Si elle montre ses seins, c'est forcément qu'elle est mauvaise. Forcément qu'elle ne sait pas chanter, qu'elle n'a rien d'exceptionnel, et qu'elle veut se faire remarquer. Une pute quoi: qui se sert de son corps pour arriver.

Maintenant, jetons un oeil à ceci:


Ah, Iggy! On a le droit de toucher à Iggy? Ce fringant sexagénaire à moitié à poil qui se déhanche lascivement et a coutume de sortir sa teub et de mimer la copulation en concert. C'est marrant, j'ai jamais vu des centaines de milliers de commentaires l'accusant de faire sa petite pute et de planquer sa voix poussive derrière ses tétons sortis.

Peut-être parce que le problème de Jess Greenberg, c'est pas sa tenue, pas son décolleté. Le problème, c'est que c'est une fille, et qu'à partir de ce moment-là, il faut qu'elle se conforme, sinon elle est coupable d'imposture. Qu'elle se conforme à quoi? Aucune idée. Que celui qui le sait mette la réponse en commentaire.

Maintenant, je vais un peu vous parler de moi.

Ca m'a rendu vraiment triste tous ces commentaires. Bien sûr, un seul commentaire crétin, ce n'est pas grave. Mais la masse rend vraiment triste. On se rend bien compte qu'on est cernés par les cons, bien compte qu'on n'est pas libres, que dès qu'on fera une vidéo on se fera rappeler à l'ordre: ta tenue, pas comme ça. Tes lèvres, pas comme ça. Tes seins, pas comme ça. Sinon c'est que tu veux faire du clic, d'ailleurs t'es nulle, heureusement que t'es pas trop moche. Je vous jure que c'est très violent, même si intellectuellement on le sait, en avoir la confirmation, avoir le tel décalage entre la tonalité des commentaires et les vidéos elles-mêmes, c'est vraiment se prendre une claque.

Pour chougner un peu je peux même vous dire que je regardais ma fille jouer dans le salon et j'étais triste à l'avance pour elle. Tout à l'heure pareil, je pensais à elle et je me demandais s'il fallait pas que lui souhaite de ne pas avoir de seins, ou pas beaucoup, pour au moins ne pas avoir à subir le soupçon systématique de les montrer pour obtenir quelque chose. C'est assez terrible comme sentiment.

Maintenant je reviens à Jess Greenberg.

J'ai des côtés fanatiques monomaniaques. Quand j'aime une chanson je l'écoute 3000 fois par jour. Quand j'aime un musicien/un groupe j'en déverse des tonnes sur les réseaux sociaux. Je postais donc allègrement du Jess Greenberg à tire larigot. Soudain, un commentaire: "Elle a aussi peu confiance en ses talents de chanteuse pour s'exhiber comme ça?" Du classiquement crétin, donc. Quelle n'était pas ma surprise: ce commentaire provenait d'une féministe auto-déclarée...
Ca, ça m'a vraiment épatée. Le féminisme, c'est "mon corps est à moi", c'est, entre autres, revendiquer le droit pour les femmes, de faire ce qu'elles veulent avec leur corps sans être jugée / condamnée pour cela. Alors qu'une féministe déclarée dise d'une femme qu'elle a tort de montrer son corps parce qu'elle se décridibilise, je trouve ça franchement ahurissant.
Donc mon opinion: vous faites ce que vous voulez à partir du moment où vous empiétez pas sur la liberté des autres. La base quoi. En l'occurrence le décolleté de Jess Greenberg il ne fait chier personne, il fait juste sortir les cons du bois.
Pour la petite histoire, depuis j'ai arrêté de suivre la féministe auto-déclarée sur les réseaux sociaux. Le féminisme est un courant de pensée vivant dans lequel il y a plusieurs courants qui ne sont pas d'accord sur tout. Il y a des sujets très clivants pour les féministes: la prostitution, la pornographie, le voile. Je me suis rendue compte qu'avec cette "féministe" je n'étais d'accord sur rien. Des fois, c'est pas la peine de s'acharner: on n'est pas d'accord, autant arrêter de se faire du mal.

Aujourd'hui un ami Facebook a dit de Jess Greenberg qu'elle faisait commerce de ses atours (c'est une pute, quoi), l'a comparée à la chanteuse Sabrina, ET a dit qu'il ne faisait pas du slut-shaming et que le politiquement correct le fatigue.
Alors voilà: moi ce qui me fatigue c'est d'entendre des conneries sexistes à longueur de journée dans les médias ; ce qui me fatigue c'est d'éviter systématiquement le regard des mecs dans la rue pour ne pas "chercher la merde" ; ce qui me fatigue c'est les blagues graveleuses que se permet de faire mon boulanger quand j'hésite devant son étal ; ce qui me fatigue c'est d'être mal à l'aise au bar du village parce que je ne sais jamais comment vont m'accueillir les habitués devant leurs verres ; ce qui me fatigue c'est d'entendre ma belle-mère dire devant ma nièce de 10 ans "les filles qui sont violées alors qu'elles font du stop, faut pas s'étonner non plus, un bonhomme c'est un bonhomme" ; ce qui me fatigue c'est entendre un collègue dire d'une collègue prétendument incompétente "j'espère qu'elle avale bien". Et ce qui me fatigue, c'est que des bêtises sexistes sortent de la bouche de mecs biens. A côté de tout ça, je vous avoue, la dénonciation du slut-shaming, non, ça me fatigue pas. Je suis même bien contente que ça existe.