lundi 20 juin 2016

Ce qu'on apprend en reprenant "Anthems for doomed youth"

Depuis que je reprends des chansons toute seule à la guitare dans mon garage (en gros depuis que j'ai deux enfants et plus l'énergie de trouver un groupe et assurer les répètes) j'ai envie d'un défi idiot: reprendre tout un album.
J'ai une une grosse tentation avec Nobody's daughter de Hole et je ne jure pas que je ne m'y mettrai jamais. Mais ça y est, c'est fait, ma voix et ma guitare approximatives sur toutes les chansons d'un album qui est donc Anthems for doomed youth des Libertines.
Pourquoi cet album? D'abord parce que je suis restée un moment ébahie de la reformation du groupe qui a toujours été mythique pour moi, n'ayant commencé à écouter  qu'après la sortie du deuxième album -autrement dit quand il était déjà fini. Je me rappellerai longtemps je pense de la première fois où j'ai vu le clip de "Gunga Din" et de ma joie de voir Peter Doherty et Carl Barat faire les cons ensemble malgré la rupture et toute la rancoeur accumulée entre eux.
Après je suppose que c'est un peu de la faute de Gary Powell, que j'avais mentionné en postant ma reprise de "The ha ha wall" sur twitter et qui m'a gentiment dit "it's a great cover!" Le pauvre il ne se doutait pas que j'allais rentrer en hyperventilation pour 24 heures et finir avec l'idée de mériter encore un compliment. J'ai bien conscience que c'est pathétique, mais après tout si ça me permet de m'amuser ça ne fait de mal à personne. Et sur le chemin de ce défi personnel j'ai appris les 2-3 trucs que voilà.

1/ Ça prend du temps de bien connaître un album.

Ce n'est pas un scoop mais pour reprendre des chansons il faut les écouter beaucoup. Mieux on les connaît plus c'est facile au moins pour le rythme de la voix. Et donc j'ai écouté Anthems for doomed youth, beaucoup, au poins que je me demande si ce n'est pas l'album que j'ai écouté le plus dans ma vie. Au fil des écoutes ma perception s'est transformée assez fondamentalement, au point que je ne comprends plus du tout comment on peut faire une critique pertinente de disque après l'avoir écouté une fois seulement (cela dit c'est pareil pour les livres, probablement pour les films etc.). Des chansons qui me paraissaient faibles (ou inexistantes) se sont révélées, il y a des paroles que je n'ai entendues qu'après des dizaines d'écoutes et au moment des devoir les chanter moi-même. "Iceman" par exemple, je ne la comprenais pas du tout avant de percevoir son côté Beatlesien, d'écouter vraiment les paroles (d'ailleurs si comme épitaphe je pouvais avoir une traduction correcte de "This life, this love, this river have to end / Just for now we have all the time" ce serait parfait). Les paroles les plus amères de l'album sont marmonnées par Carl Barat (spécialiste du procédé) au point qu'il a fallu que je les lise avant de les entendre: "Yes we thought that they were brothers / But they half-murdered each other / Then they did a karaoke turn and murdered our best song". Et à l'image de cette phrase et malgré l'énergie et les fous-rires sur les bonus tracks, l'ambiance n'est pas vraiment à la rigolade au final...

2/Anthems for doomed youth est un disque entre la dépression et la méthode Coué

"Woke up again / To my chagrin / And I'm sick and tired of feeling sick and tired again"
"Don't know if I can go on / Making no sense in songs / Don't know if this is forever".
Oui c'est un disque sur l'épuisement et la perte d'inspiration, la perte du sens. "Gunga Din" est une grande chanson dépressive. Et si vous voulez voir un clip d'une noirceur radicale il faut voir celui de "Heart of the matter", d'une violence complaisante et malaisante, qui n'épargne pas son public.

Et dans le même temps:

"Hold on to your dreams however bleak it seems / The world it may not listen but the devil may care"
"Oh I don't know what he did man / But I stand by my brother / We're gonna make it big man / One way or the other".
Tout est dit du départ avec le paradoxal "The world is fucked up / It won't get me down".
C'est difficile de ne pas y voir une métaphore du groupe lui-même, sabordé il y a 11 ans, qui tente avec l'album de recréer malgré les rêves brisés.

3/ Les anciennes chansons déchirent

Je ne dois pas être une fan si hardcore, car je n'avais jamais écouté les 4 chansons en bonus tracks. Ce sont des "vieilles" chansons datant de la 1e période des Libertines, jamais enregistrées mais traînant sur le net et ailleurs depuis un moment.
C'est simple, elles sont géniales, ironiques, énergiques, poétiques, elles ont tout. C'est en les écoutant qu'on se rappelle (si jamais vous aviez oublié, parce que moi non) du talent des Libertines de l'époque, qui pouvaient se permettre de mettre un tel matériel de côté parce qu'ils avaient trop de bonnes chansons.
Love on the dole ancienne version (chanson à boire)
Bucket shop (vieux live avec un autre batteur)
Lust of the Libertines ancienne version
Seven deadly sins ancienne version.

4/ Je suis capable de jouer des accords barrés

Eh oui, guitariste en carton depuis 1999, j'ai toujours soigneusement évité l'écueil des accords barrés, cherchant prudemment d'autres chansons à reprendre quand s'en présentait une qu'il était impossible de faire sonner à mon goût sans cette difficulté. Seulement là j'avais le défi d'aller au bout de l'album et je ne pouvais pas me défiler, il fallait que je passe ce sol#mineur et ce do#mineur sur "Anthem for doomed youth", et ce fa#mineur sur "Fury of Chonburi" (oui parce que si#mineur et si j'ai continué à tricher...).
C'est LOIN d'être parfait, à l'image de mon son, fièrement made in smartphone orienté n'importe comment et jamais retraité. À l'image de mes riffs toujours et paroles parfois non conformes aux originaux, parce que je ne comprends pas assez bien l'anglais et que si les paroles ne sont pas sur Internet je les invente.
Bref c'est toujours à l'arrache, il y a des pains partout, mais moi je sais que j'ai progressé et que je sais faire plus de choses à la guitare qu'avant.

5/ Je peux passer du grave à l'aigu dans la même chanson

Si Lana del Rey le fait sur "Born to die", pourquoi pas moi? Au lieu de placer le capo pour me permettre de rester dans la même octave tout le long de la chanson, il y en a plusieurs sur lesquelles je me balade et je ne trouve plus ça ridicule.
Comme sur "Anthem for doomed youth", qui ne doit pas être si pourrie puisque @lamateur37, qui d'habitude ne me dit RIEN sur mes reprises (parce qu'il ne les écoute pas) m'a dit "elle est bien celle-là". Comme sur la fin d'un "anymore" dans "Belly of the Beast" où je m'amuse bien entre les graves et les aigus.
J'ai quand même mis le capo sur "Lust of the Libertines", avec un son qui rappelle le ukulele. D'ailleurs les accords pour ukulele sont en ligne.

Pour finir, je dirai que je connais mes limites et que je n'ai pas spécialement envie de les dépasser. J'aime que mes chansons soient une parenthèse volée dans le reste de ma vie et je n'ai pas envie d'avoir de la pression sur ça aussi, comme sur le reste.
Le défi de reprendre les 16 chansons je me le suis fixé à moi-même par amour pour un groupe, je suis allée au bout et j'en suis très contente. Le résultat me plaît à moi parce que quand je le réécoute je vois les efforts, ce sur quoi j'ai buté, ce qu'il me reste à améliorer, et surtout tout ce que ça m'a apporté.

L'album, le vrai
Et mes versions.